Pierre Denan Journal
Textes 2018-2021
Là où je suis
Premières phrases du premier article du Journal, posté le 20 octobre 2018 :
Debout dans la chambre. Homme nu les bras collés au corps, statuaire antique. Lever de soleil hypermoderne, actualité dans le monde. Bain de sang, silence glacial. Tendances présentes de la littérature, une prise d’otage à Pôle emploi. Le simple fait de l’existence, ce que je voulais croire. Nouvellement né, par ce Journal. Mettre à l’épreuve l’apparition d’un sens, le réduire aussitôt, ce que je tente à présent.
Premières phrases de l’article posté le 13 février 2020 :
Camille vient à Paris et elle repart c’est le livre sur rien (voir l’article posté le 18 juin 2019, intitulé Toutes sortes d’acrobaties). Paris-Plage sera celui du dédoublement schizoïde. Le Journal c’est le commencement — et le recommencement — de cette littérature. Le Journal c’est le bruit à l’intérieur d’une tombe. Témoignage achèvement, c’est fixer des repères. Précision, et tenir la distance. Brèves notations, une dissonance. L’expérience intérieure, le transitoire et la baleine. Le tambour d’une machine à laver, et la vitesse de rotation. Le vortex mais sans le trou, ni le volume. Lessiver, les fictions les plus plates. Monstre aquatique, vers le fait que chaque phrase : c’est le blanc implacable, le sillon écumant. Échappées salutaires, tempo fiévreux. Le journal de Pierre Denan est publié en ligne, au fur et à mesure de son écriture, depuis le 20 octobre 2018.
Texte posté le 1er janvier 2020 (108e article) :
JUSQU’À PRÉSENT
Année 2020 de l’Ère commune. Énonciations prophétiques, tension hyperréelle. Flagellations d’orties, protestations viriles. Miradors-libido-des-états-vertébré-vont-surgir-bien-des-fois. Les œuvres de Satan, Botticelli dans un taxi. Regarde vaguement Paris, par la vitre baissée. Il lève les yeux sur un nuage, gonflé de sang. Pulsions brutales, obscénité hyperbolique. L’air sans étoiles, de la merde dans les cheveux. Guerriers sous Lexomil, une allégresse macabre. Lumière jaunâtre, sortir de la crucifixion. Sac commando de 118 litres, et apprendre à courir. Enjeux de la poésie, les âges futurs. Actes énonciatifs, des performances ritualisées. Des Kleenex usagés, des ordures psychopathes. Désert sans fin, quel Dieu sers-tu ? J’écoute le live de Black Midi au Boiler Room à Londres (2019), aborder le tangible. Ni culpabilité, ni asservissement. Éloge de la subversion, et les meilleures pizzas. Despotisme éclairé, le mythe de la modernité. Productivité accrue des échanges, des voitures incendiées. Cela devait-il être ? Éclats d’obus, une dynamique de la résolution. Capacités de perception, appréhender le quotidien. Policiers équipés de boucliers antiémeutes devant le commissariat, drogue et fraternité. Contrôle de ce qui advient, les billets de vingt euros sortent de la fente du distributeur. Niveau de conscience, où va Botticelli ? Je me sens nauséeux, et j’arrive au G20. J’achète une bouteille de Gin, des citrons verts, un pack de Cristaline et des amandes salées. Diversité des formes réflexives, pratiques vernaculaires. Épuisement de soi, constellation des vanités. Contre-jour, si l’enfer évoqué. Crises d’angoisse, épisodes pshychotiques. Troubles de l’identité, le moralisme exacerbé. Des types qui traînent par petits groupes au coin des rues, il fallait vivre avec : les voix cyniques, l’opinion, les virus, la mise à jour automatique des applications. Les cendres mouillées, les souffles rauques, les râles d’horreur et Google Play. Comment tout a-t-il commencé ? et l’évidence que ce vécu. La civilisation, l’option divine. Actes d’accusation, marques d’hostilité. Autorité, puissance et pouvoir. Ordre légal, la hiérarchie des normes. Thèses conspirationnistes, essentialisme, bilan démographique. Critique sociale, à cet égard. Amertume empreinte de ressentiment, fonds de commerce idéologique. Impasses toxiques, des oranges mécaniques. Discours sur l’effondrement, et ils tremblaient de rage. Éléments allogènes, élite mondialisée, libérer le vrai peuple. Le déclinisme, le sépulcral, la décadence, la souffrance déployée, la destruction, le tragique, le pessimisme amplifiés à l’excès. Versus le progressisme dogmatique, le Bourgeois-bohème, les prêches écologistes, la doxa libérale et l’inclusion universelle. Des produits artistiques, de la coke coupée au fentanyl. Opioïde synthétique, la Macronie en son royaume. Vide sidéral, une expérience glaçante. Est-ce que, pour demain matin sept heures, vous pouvez avoir une stratégie ? Répartition codifiée des attributions et des rôles, des marques ornaient ma peau. Explorations urbaines, et dans cette perspective. L’implant cérébral du Professeur Benabib permet à un tétraplégique de piloter un exosquelette, cortex sensori-moteur. Ce qui arrive, les données statistiques. Signaux émis, exhiber ses blessures. Chauffeurs Uber notés par les clients, évaluations Trip Advisor. Témoignages vidéo, injonctions collectives. Tribunal digital, dérive totalitaire. Contrôle et incarcération, Surveiller et punir. Algorithmes de classement des individus et indice de confiance. Engranger des points et acquérir des droits. L’avis de l’expert, au cœur de l’événement. J’écoute Concept 1 de Richier Hawtin (1998), et les mots sont ici. « Je suis le garçon possesseur du don de se rendre invisible », écrit Joyce dans Ulysse. Ce sera l’exergue de mon roman Camille vient à Paris et elle repart. Imposer sa fiction, ce que disait le titre : voici la situation. Ouvre et ferme à la fois. Champ littéraire, et dans ces pages. Ce qui me relie à la folie, Camille dansait (au Berghain à Berlin). Elle me rasait la tête (à Roquebrune-Cap-Martin). Elle pratiquait le tir chez Marylebone Rifle & Pistol Club (à London Bridge). Elle avait l’air de s’emmerder (un peu partout). Elle disait tes yeux sombres et on buvait des shots (de Tequila, un peu partout). Elle disait je ne crie pas. Elle restait assise sur une chaise, les yeux fermés, muette et les mains sur les cuisses (à Paris, dans mon appartement). Elle disait je vais te dire ce qui me perturbe. Elle disait qui es-tu ? et que veux-tu ? Elle a dit mes parents ne vendront jamais la maison, de la Ferté Saint-Cyr. Elle a parlé de la tête de sanglier, accrochée dans l’entrée. Elle a dit enfant ça me terrifiait. J’ai dit ton père est chasseur ? Elle a dit non et elle a dit putain, mon père ! et le silence qui a suivi. Ça aussi elle l’a dit. Elle a dit j’ai toujours eu peur de merder. La famille, les études, un métier, les mecs, tout quoi. Elle a dit le tableau (entité homogène et durable). Elle a dit le poulet du dimanche, avec les frites. La promenade au zoo De Beauval, l’après-midi. Ou au château de Chambord, références indigènes. Elle a dit c’est fini cette peur. C’est terminé. Rien à foutre. Elle a dit fuck the fuck et c’est pas la question de fuir. J’ai dit c’est quoi alors ? et elle a dit se perdre enfin. J’avais envoyé un carton d’invitation à des amis, pour une soirée, sur lequel j’avais écrit : En présence de Camille. Je louais des bagnoles à l’aéroport de Nice. La première chose qu’on faisait, c’était d’acheter de l’alcool à l’Intermarché de Roquebrune. On buvait des verres en arrivant à la villa, et un début de bronzage. Elle a dit le drame de mes parents c’est la mort de mon frère (Madrid, hôtel Barcelo Torre). Elle a dit je suis allée en Inde, je suis allée au Vietnam, je suis allée à New York et à Los Angeles, à Prague et à Tokyo. Elle disait l’or des saints, le temple de Nara, et se mettre à ramper. Elle disait quartier juif, Shibuya, Standard Hotel, Starbucks Coffee sur Melrose Avenue. Elle a dit le cube de la boutique Paul Smith, rose (Giant Pink Building). Vire au bleu par le soir, et elle disait je ne pense à rien. Elle a dit Ford Mustang, collines de Los Feliz, toits blancs dans la vallée, skyline, brume de chaleur, immensité, menace. Elle a dit The World is a Stage, engloutie la Cité. Des Anges. L’être en son lieu, n’eût-elle jamais. Camille fessée à Copenhague, chahutée à Belgrade, épuisée à Anvers et assoiffée à Londres. Un rayon de soleil perce à travers l’horrible et continuel ciel gris, disparaît. Phases d’expansion de la haute finance, lampes halogènes sur les tournages. Un black TTBM, qui a une ferme envie de se vider les couilles, se fait sucer par une MILF qui ressemble à Claire Chazal. Une brunette gourmande lui bouffe la chatte et se branle avec frénésie pendant qu’un clone de Rocco Siffredi, version racaille de Budapest, lui travaille l’anus avec les doigts et il l’encule. Mouvements de caméra, qu’est-ce qui rend héroïque ? Valeur des cadres, échelle des plans. « Car je cherche le vide, et le noir, et le nu », écrit Baudelaire dans Obsession. Meurtres rituels, toute mise à mort. Expiation purificatrice, des sacrifices humains. Figure de Dionysos, des messies sous amphés. Peuples barbares, des récits cannibales. Multitudes anonymes, d’immenses foules réunies. Des corps tendus, violence de masse. Mouvements contestataires, noyés dans les eaux mortes. Territoires et lambeaux, souffrance la plus glacée. Relevés de compte, chanter notre désir. Équilibre budgétaire, m’étant léché le corps. Évacuation. Lyrisme. Odeurs. Matières fécales. C’est en 1778 que Joseph Bramah invente le principe du siphon. Refouler l’odeur des chiottes, clapet anti-retour. C’est expulsé. Ça sort. Ça disparaît. C’est englouti. Les étrons dans l’égoût. Le commun. Déjections. Le pluriel. Le réseau. Assainissement et canalisations. Émanations de sulfure d’hydrogène. Régulation des flux. Eaux collectées, stations d’épuration. Appareil digestif, il y a aussi. Écrire. Ne pas écrire. La voie des armes, le tombeau vide et un sorcier Vaudou. Portraits de la Vierge sur les crosses des fusils. Le bruit du siècle et les cérémonies. Nulle foi. Porte la mort. Du dernier jour. Épreuve de l’extrême. Quand tout est dit. Rien au-delà, à cet instant. Je suis rue Vieille-du-Temple, je marche d’un pas rapide. Je croise un homme manifestement frappé de maladie, visée de l’œil. La poussière sur le film, et la lentille du projecteur. La douleur veille, et l’infini demeure. Recycler le déchet, organiser la pénurie, saturer le marché. Hanter les livres. Le temps grammatical, s’engendrent et se recouvrent. Syntaxe et gouvernement. Ivresse, quoi d’autre alors ? Destin fatal, magie de la rime, liens d’affection. Empire de la beauté, dehors du tout. Le phonème lune et l’astre froid. Libres associations, et l’avoir lieu. Séjour terrestre, et nul ne sait. Pôle du sensible, fragments choisis. La ligne lue, et j’arrive à La Perle. Des voix désincarnées, Camille fait claquer son Zippo. Elle est assise très droite. Elle dit j’ai imaginé que tu ne viendrais pas, que je ne te verrais plus. Que tu allais disparaître. Club sandwich sur la table, et elle pose le briquet. Réitération, quand j’ai vu ton visage. Elle dit l’adieu. Elle dit que pouvons-nous et, presque aussitôt, tu manges quelque chose ? Il y a une femme, tête baissée au comptoir. Et qui buvait sa bière. Les serveurs font les cons, derrière le bar. Un couple avec un bébé est assis près de nous, ils sont italiens, la fille va aux toilettes et mon téléphone sonne. La mesure du possible, les paroles échangées. Le rendez-vous, ce qui vient d’être dit. Des sons articulés, il n’était pas minuit. Ceux qui errent dans Paris, Sandro Botticelli. Glorifier mille exploits, nous pouvons rendre grâce. La Naissance de Vénus, Camille fixe son club sandwich. Elle dit essayer voir. Elle dit essayer dire. Comme une absence, et elle met ses Ray-Ban. Elle dit je n’ai qu’à fermer les yeux, disant cela elle me regarde. Et elle remplit sa bouche.